Guillaume Dégé

Halls of Mirrors

"Because, as long as I have not more surely learned
to tease apart the accidental from the necessary, what
shall I demand of my pen, if not exactitude and rigour?"
André Gide, The Vatican Cellars

Each morning, the sun rises. And the artist's trade must be an enviable one, as he plucks from the limen of his sheet (of paper) the unforeseen forms that have hurled themselves at it.
Against all odds, and in order to disturb the importunate, it doesn't come about without friction : if the daily rising of the sun is to be favoured, it must be accompanied by a ruthless requirement. This is what people don't understand, and no matter what you say to them:

1) they don't look at the images;
2) it's too much effort for them to imagine pushing a pencil that will give the form of the day.
To each drawing suffices its design.

It's as though Paul van der Eerden hadn't been to school: a style establishes itself outside of academic strictures. The concentrated work absorbs the sheet, sometimes covering it entirely. The small, disparate formats, the colour of the surface, the nature of the paper, the instruments that make the drawing look self-evident, however unserious. Without circumlocution. Attached to their own urgency, and detached from any critical bug that has no right to preside over their elaboration. Let's also consider this non-historicising culture that comes to the surface. The artist embraces ancient drawing, outsider art and African art with an incredible appetite, firstly ransacking reductivist appellations for an element of his own trajectory. This intelligence of culture, which is also a return of duration or space, gives its materials to the intimate, suggesting ways of entering into the oeuvre.
It's not a reverential usage of culture, the way one might flatter a rich, feeble cousin in order to rob her of a hypothetical inheritance, nor a way of constructing an invalidating shrine, but an attack on the detail of representation, in its primary singularity. Here the word "culture", in a plausible denomination, serves as a set of artistic phenomena, not a scarecrow for cretins.
And so it is that the paths taken by Van der Eerden are but very exactly what he wants drawing to be; not a style or a rootedness, but a proof, the mark of precise moments which, clustered together, find a place in the space of an exhibition, or in a book. A random desire or necessity makes the system of the process. Should the viewer be convinced of this? Nothing seems certain. And let's stick with that. Let's feign to believe in this organisation; let's help the eye take on this recollection. The painter's universe isn't closed; he's not in the maniacal repetition of a creative "habitus". One might even think of an Eskimo with his harpoon, probing the ice cap, setting traps for what will provide his food; the art of striking home. An interplay of echoes is organised, from one form to another, which is not the homonym of the first, but a deviation - the invention of its vanishing point, leaving the mystery almost intact.
It's a philosophy that needs to be talked of, faced with the diversity that's subsumed into this creation. A philosophy that shamelessly fellates the economics of drawing. Not so much at the start: some pencils, non-matching bits of paper. The art of what hangs around: a face, a pussy, a few words, a page to be covered. To lay down a drawing - in other words, to allow one's hand to leave some traces on a page - is scarcely more demanding than walking or talking. It's to be noted, nonetheless, that this unremarkable gesture is exceedingly rare. While the art of princes seeks to demonstrate that gilding (or the simian, rationalising skill of the executant) takes the place of grace, drawing, in its principled austerity, makes mock. The redoubtable efficacy of such an indigent practice is not a trivial paradox. Who, today, can manifest this childlike gesture?
Does it have a sense? Yesterday, on France Culture radio, a banker asserted that it was better to encourage consumption than to restore the stained glass windows of cathedrals. As they say: render unto Caesar the things which are Caesar's - and let the artist get by with the rest.
By hybridising the different registers he's invented for himself, Paul van der Eerden, auto-polyglot, has put together a portable cosmogony whose caesuras and blanks are as eloquent as its "inhabited" parts. The balance remains, between that which is filled up and that which is not. It constitutes an architecture of counter-forms and inevitable respirations of the word.
The drawing is within the page, sealing the viewer's perception and the artist's time, exposing everything it passes over in silence.

Miroir et Alouettes

« Car, tant que je n'aurai pas plus sûrement appris à
démêler l'accidentel du nécessaire, qu'exigerai-je de ma
plume, sinon exactitude et rigueur ? »
André Gide, Les Caves du Vatican

Chaque matin le soleil se lève. Et ce doit être un bien beau métier que celui de l'artiste cueillant à l'orée de sa feuille les formes imprévues qui s'y précipitent.
Contre toute attente, et pour déranger l'importun, cela n'arrive pas sans heurts : favoriser le lever quotidien du soleil doit s'accompagner d'une exigence sans merci. C'est ce que les gens ne comprennent pas, on a beau le leur dire :
1) ils ne regardent pas les images,
2) pour eux l'effort est peut-être trop pénible que d'imaginer pousser son crayon afin de lui donner la forme du jour.
À chaque dessin suffit son dessein.
Tout se passe comme si Paul van der Eerden n'était pas allé à l'école : une écriture qui s'établit hors des fourches académiques. Le travail concentré vient absorber la feuille, parfois la couvrir entièrement. Les formats disparates et petits, la couleur du support, la nature des papiers, des outils, donnent au dessin un caractère d'évidence, mais peu sérieux. Sans détour, arrimés à leur urgence propre et dégagés d'une bogue critique qui n'a pas lieu de présider à leur élaboration.
Considérons aussi cette culture non historicisante, qui affleure.
L'artiste embrasse avec la plus incroyable gourmandise le dessin ancien, l'art brut, et l'art africain, dévalisant d'emblée ces appellations réductrices, pour en faire un élément de son propre cheminement. Cette intelligence de la culture, qui est aussi un retour de la durée ou de l'espace, donne ses matériaux à l'intime, offre des manières d'entrer dans l'œuvre.
Ce n'est pas un usage révérencieux de la culture, comme on flatterait une cousine impotente et riche pour en distraire un hypothétique héritage, ni une façon de construire une châsse invalidante, mais l'attaque par le détail, dans sa singularité première, de la représentation. Ici, le mot culture ne sert qu'à rassembler sous une dénomination plausible un ensemble de phénomènes artistiques, et non à devenir un épouvantail à crétins.
Ainsi des voies empruntées par Paul van der Eerden, qui ne sont que très exactement ce qu'il veut que le dessin soit. C'est-à-dire non pas un style, un enracinement, mais une preuve, la marque de moments bien précis, qui, agglutinés les uns aux autres, trouvent une place dans l'espace d'une exposition, ou dans un livre. Le hasard d'une envie, ou d'une nécessité, fait le système du processus. Le spectateur doit-il en être convaincu ? Rien ne semble bien sûr. Et restons-en là. Feignons de croire à cette organisation, aidons le regard à entamer cette recollection. Son univers n'est pas clos, il n'est pas dans la répétition maniaque d'un habitus créatif. On pourrait même penser à un esquimau et son harpon, sondant la banquise, posant ses pièges à la recherche de ce qui fera sa nourriture, l'art de faire mouche. Un jeu d'échos s'organise, d'une forme à l'autre, qui n'est pas l'homonyme de la première, mais un écart, l'invention de son point de fuite, gardant presque entier le mystère.
C'est d'une philosophie, face à la diversité subsumée dans cette création, qu'il faudrait parler. Une philosophie gamahuchant sans vergogne l'économie du dessin. Pas grand-chose à l'origine : quelques crayons, des bouts de papiers mal assortis. L'art de ce qui traîne : un visage, une chatte, quelques mots, une feuille à recouvrir. Poser un dessin, c'est-à-dire autoriser sa main à laisser quelques traces sur une feuille, est à peine plus contraignant que parler ou marcher. On remarque cependant que ce geste sans envergure est d'une grande rareté. Alors que l'art des princes cherche à démontrer que la dorure ou l'habileté simiesque et rationalisante des exécutants tiennent lieu de grâce, le dessin, lui, par son dénuement de principe, ricane. Ce n'est pas un paradoxe sans conséquence que l'efficacité redoutable d'une pratique aussi indigente.
Qui peut bien aujourd'hui manifester cette geste enfantine ?
Cela a-t-il un sens ? Hier, un banquier affirmait sur France Culture qu'il valait mieux pousser les gens à la consommation que restaurer les vitraux des cathédrales. Comme disait l'autre : rendons à César ce qui appartient à César, et laissons les artistes se démerder avec le reste.
En croisant les divers registres qu'il s'est inventés, Paul van der Eerden, polyglotte de lui-même, bricole une cosmogonie portative dont les césures, les blancs, sont aussi éloquents que les parties habitées. La balance continue entre ce qui est rempli et ce qui ne l'est pas, elle apporte une architecture de contre-formes, de respirations inévitables de la parole.
Le dessin est dedans la page, scellant le regard du spectateur et le temps de l'artiste, laissant à découvert tout ce qu'il tait.

Guillaume Dégé in;
Paul van der Eerden: Poudre aux moineaux / Dust for Sparrows
Les Cahiers Dessinés, Buchet-Chastel, Paris 2009

© Guillaume Dégé 2009