Frédéric Pajak

Full Page Syndrome


Paul van der Eerden never has ideas. He thinks that… that… that… No, he doesn't think, given that he doesn't have ideas. He draws, he draws, and that's all. As he always has. And for all time. His eye's connected to his fingertips by a fishing line, a muscle: an over-excited nerve, deflowering a sheet of paper. A pencil, paper, and, above all - no ideas. A typically Dutch recipe for art? That would be too simple. He reads, looks, dissects, analyses and breaks things down, before composing his image in semi-consciousness. Look at his clouds under the sky: they know neither wind nor rain. Some strokes in coloured pencil; that's all. And the same goes for coitus, cars, cities, motifs repeated to infinity - it makes no difference, since that's how the world belongs to Paul van der Eerden, and to him alone.
He laughs. No one knows why, but everyone laughs with him. He sees, and everyone ends up seeing through his eyes. There's immense culture in these simple drawings - the fierceness, the freedom of a prince in rags.
Paul comes from Rotterdam, to which he returns after many journeys. There, he virtually walks naked on water in the grisaille of the port, among rats, cats, dogs, cranes, ships, sailors, whores.
So he comes from Rotterdam, where he was born in 1954, and where he attended evening classes at the fine arts school between 1974 and 1979, while doing odd jobs for a living. His origins? His family? What does it matter to him? Biography's always an excess of romanticism, an artist's pause that deflects us from the true path. It's a point of view, and no one thinks of contradicting it. In this country of strict, cruel, former colonisers, he remains a foreigner. From the ends of the earth that he too has touched, he's enslaved no one (as far as he knows). No one except his characters, enclosed in sheets of paper never larger than A3 - petrified in pencil or ballpoint, alarmed, effaced by signs derived from all the possibilities of drawing: points, lines, crosses, saturation, void, etc. In this idea-free world, where sheets of paper hang snugly on walls, there's a thing that's worse than ideas: a thing that hasn't yet found its name. And there you have the artist's entire art.


L'angoisse de la page pleine

Paul van der Eerden n'a jamais d'idées. Il pense que, que, que… - non il ne pense pas, puisqu'il n'a pas d'idées. Il dessine, il dessine et c'est tout. Et depuis toujours. Et pour toujours. Son regard est relié au bout de ses doigts par une corde de pêcheur, un muscle, un nerf survolté qui vient déflorer la feuille de papier. Un crayon, du papier et surtout pas d'idées : une recette d'art typiquement hollandaise ? Ce serait trop simple. Paul lit, voit, décortique, analyse, mémorise, décompose, avant de composer son image, dans une demi- conscience. Regardez ses nuages sous le ciel : ils ne connaissent ni le vent ni la pluie. Quelques coups de crayon de couleur et c'est tout. Idem pour un coït, une voiture, une ville, un motif répété à l'infini, qu'importe puisque c'est ainsi que le monde appartient à Paul van der Eerden, et à lui seul.
Il rit. Personne ne sait pourquoi, mais tout le monde rit avec lui. Il voit et tout le monde finit par voir par ses yeux. Il y a une culture immense dans ces pauvres dessins, un acharnement, une liberté de prince en haillons.
Paul vient de Rotterdam et il retourne à Rotterdam, après moult voyages. Chez lui, à Rotterdam, c'est tout juste s'il ne marche pas nu sur les eaux, sous la grisaille de son port, au milieu des rats, des chats, des chiens, des grues, des navires, des marins, des putes.
Donc, Paul vient de Rotterdam où il est né en 1954 et où il a suivi les cours du soir de l'École des beaux-arts de 1974 à 1979, tout en vivotant de petits travaux. Ses origines, sa famille ? Quelle importance, pour Paul, toute biographie est toujours un excès de romantisme, une pause d'artiste qui nous détourne du vrai chemin. C'est un point de vue, et nul ne songe à le contredire. Dans son pays d'anciens colonisateurs cruels et stricts, il reste un étranger. Du bout du monde qu'il a lui aussi touché, qu'il sache : il n'a réduit personne en esclavage. Personne, sauf ses personnages, enfermés dans ses feuilles de papier jamais plus grandes que du A3, ses personnages pétrifiés sous les coups d'un crayon ou d'un stylo bille, personnages effarés, effacés par des signes venus de toutes les possibilités du dessin : points, lignes, croix, saturation, vide, etc. Dans ce monde sans idées, où les feuilles s'accrochent parfaitement aux murs, il y a quelque chose de  pire que l'idée : et cette chose n'a pas trouvé de nom. Voilà tout l'art de l'artiste.

Frédéric Pajak in;
Paul van der Eerden: Poudre aux moineaux / Dust for Sparrows
Les Cahiers Dessinés, Buchet-Chastel, Paris 2009

© Frédéric Pajak 2009