Marieke Wiegel

Avant-propos

Mària van Berge-Gerbaud qui travaille depuis 1971 au sein de la Fondation Custodia et qui aura été de 1994 à mai 2010 à la tête de cette merveilleuse Collection Frits Lugt mérite l'hommage qu'on lui rend aujourd'hui. Au cours de sa longue carrière, elle a pris soin d'enrichir cette collection déjà très variée et de la pérenniser ; qui plus est, elle a mis beaucoup de son énergie à en présenter de grands pans au public français grâce aux nombreuses expositions organisées au fil des années à l'Institut Néerlandais. Ainsi, à plusieurs reprises, les visiteurs ont pu admirer des dessins et eaux-fortes de Rembrandt ou encore, à une date plus récente, apprécier un ensemble qui reflète les richesses du dessin français que possède la collection. En travaillant, dans le cadre de certaines expositions, avec des musées et collections français ou étrangers, Mària van Berge-Gerbaud a contribué à consolider la réputation et le rayonnement international de la Collection Frits Lugt en même temps que ceux de l'Institut Néerlandais comme espace d'exposition.
En plus d'organiser de grandes rétrospectives, elle a, au cours de ses années passées à la tête de la Fondation Custodia, développé le concept d'exposition-dossier qui vise à mettre en valeur des facettes plus discrètes de la collection. Ainsi, elle a composé avec ses conservateurs un dossier sur un choix des miniatures indiennes récemment acquises par la Fondation, sur des dessins danois pour la plupart du XIXe siècle ou encore sur des dessins et des lettres de Jongkind. La plus récente exposition conçue d'après ce concept est celle qui vient d'être consacrée à des dessins et des lettres de la peintre néerlandaise Charley Toorop.
C'est aussi selon le même principe que Marià a pu réunir œuvres anciennes et œuvres de notre époque. Elle a ainsi invité un commissaire à présenter des portraits réalisés par des photographes néerlandais contemporains dans des cadres de la  Collection datant du XVe au XVIIIe siècle. Tant l'exposition « Cadres revisités » que le catalogue ont revêtu un cachet particulier.
Mària van Berge-Gerbaud n'a jamais fait mystère de son intérêt pour l'art contemporain. Jumelé à la passion qu'elle porte à l'art des siècles passés, il a permis d'inscrire au programme de l'Institut Néerlandais ce mariage des époques comme une constante. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que l'Institut Néerlandais, en guise d'hommage à son travail inspirateur, lui fasse cadeau d'une exposition-dossier - la onzième -, laquelle met en valeur dessins anciens et dessins contemporains.
Réaliser un tel mariage et trouver un commissaire qui soit au fait de l'art du passé et de l'art contemporain comme peut l'être Mària, n'est pas simple.
Responsable des expositions d'art contemporain au sein de l'Institut Néerlandais, je suis amenée à suivre nombre d'artistes originaires des Pays-Bas. J'ai été particulièrement attentive aux évolutions auxquelles on assiste dans le domaine du dessin dans ce pays. Cela fait par exemple des années que je connais l'œuvre de Paul van der Eerden. Son travail est régulièrement exposé en France, dernièrement encore à l'École des Beaux-Arts de Strasbourg¹ et dans la galerie parisienne Bernard Jordan. J'ai été frappée par l'intérêt que cet artiste porte à ses confrères et par son inclination à partager ses découvertes. Qui plus est, je n'ai pas tardé à comprendre qu'il montre une curiosité tout aussi importante à l'égard du dessin des siècles passés. Curiosité telle qu'il a pris l'habitude de passer des journées entières dans certains cabinets d'estampes parmi les plus renommés d'Europe pour y contempler des œuvres. Voici deux ans, alors qu'il effectuait un séjour de six mois à Berlin pour donner une nouvelle impulsion à son travail, il s'est rendu chaque jour au Kupferstichkabinett pour y étudier, des heures durant, les dessins de maîtres anciens. En 2007, à l'invitation du Boijmans van Beuningen de Rotterdam, Paul a conçu l'exposition Enclosures² qui combinait dessins des collections du musée à des œuvres d'artistes outsider ou de lui-même. Cela a donné un résultat fascinant.
Paul van der Eerden porte un regard aiguisé et plein de respect sur le travail des maîtres du passé comme sur celui des artistes contemporains. Il les analyse dans le détail sans se départir de sa singularité. Plutôt que de se laisser guider par les conventions en cours dans l'histoire de l'art, il se concentre sur la ligne et sur la technique employée par l'artiste. Ces qualités font de lui la personne toute indiquée pour rendre hommage à Mària van Berge-Gerbaud à travers une exposition présentant un choix de dessins anciens de la Collection Frits Lugt, choix complété par quelques œuvres d'artistes contemporains dont lui-même. L'Institut Néerlandais a proposé à Paul de passer cinq mois à étudier les dessins de cette collection et d'en sélectionner quelques dizaines pour l'exposition. Son choix très personnel confère force et originalité à cet « Hommage à l'art du dessin ».
Sa sélection s'ouvre par le verso d'un dessin d'Avercamp (cat N° 2). Avercamp a utilisé ce verso pour faire une première ébauche. Il ne s'agit pas de l'un des dessins finis caractéristiques de cet artiste, mais de simples lignes tracées pour donner forme à quelques idées. Selon Paul van der Eerden, c'est ainsi que commence tout dessin. À côté de ce verso exposé pour la première fois, il place deux dessins - en provenance du Museum Boijmans van Beuningen - de l'artiste du XXe siècle Kristians Tonny (cat N° 3 et 4). Guidé par son intuition, Tonny a dessiné à l'aveugle sur le papier carbone si bien qu'il lui était difficile de prévoir ce qu'allaient donner les figures. Autrement dit, un autre exemple d'une ébauche spontanée.
Au cours de la promenade qu'il nous propose à la découverte des différents aspects du dessin, Paul van der Eerden retient ensuite divers détails techniques et divers thèmes : la place de la figure sur le papier, le paysage, l'influence exercée par le regard du portraituré, le rendu de la pesanteur… Autant de points de départ qui constituent un fil rouge pour le visiteur et qui confèrent une cohérence à l'ensemble des œuvres retenues.
Ainsi, en regard d'un dessin sensuel de Guido Cagnacci (cat N° 18)  - une jeune Madeleine repentante qui, tenant sur ses genoux un crâne, semble méditer sur la fugacité de l'existence - trouve-t-on un paysage mystérieux d'Aji VN, artiste contemporain indo-néerlandais. Un paysage (cat N° 21) où, tout comme sur l'œuvre de Cagnacci, la mort figure de façon discrète et voilée.
En mettant en avant le regard de la personne portraiturée, Paul van der Eerden nous permet de relever que, malgré les siècles qui séparent les deux portraits sélectionnés, il revêt toujours une importance et une intensité du même ordre. Le portrait d'Hendrick Goltzius signé Soutman (cat N° 50) présente le même regard que la fille de la série de portraits récents de Vanessa Jane Phaff (cat N° 51). Dans les deux cas, on est en présence de personnes qui nous fixent droit dans les yeux, intensément, d'un regard auquel on ne peut échapper.
De même que Paul van der Eerden a étudié les dessins de la Collection Frits Lugt sans a priori, de même nous sommes invités à poser sur cet art, tant celui des maîtres du passé que celui des dernières générations, un regard renouvelé.
Sa sélection constitue un hommage au dessin en général, à la Collection Frits Lugt ainsi qu'au travail de Mària van Berge-Gerbaud en tant que directrice de la Fondation Custodia. Tant Mària que Paul éprouvent une réelle passion pour cet art. Ils l'abordent tous deux avec la même ouverture d'esprit et le même désir de partager cet amour. Une générosité à l'égard des artistes - ceux du passé comme ceux d'aujourd'hui - et du public, qui les honore.
Nos remerciements vont d'abord à Mària van Berge-Gerbaud et à Paul van der Eerden sans qui cette exposition et cette publication n'auraient pu être réalisées. Ils s'adressent aussi à Jonas Storsve, conservateur au musée national d'Art moderne Centre Pompidou, qui, dans son texte, éclaire les choix de Paul van der Eerden à partir de sa propre optique. Nous remercions également Rhea Blok, Hans Buijs et Cécile Tainturier, conservateurs de la Fondation Custodia, pour leur dévouement et leur enthousiasme. Enfin, sans le soutien technique de Corinne Letessier, restaurateur à la Fondation Custodia, cette exposition n'aurait pu être mise sur pied.
C'est avec un grand plaisir que la Fondation Custodia et l'Institut Néerlandais vous présentent la sélection de Paul van der Eerden dans cette publication dont la maquette a été réalisée par Wigger Bierma, un hommage au dessin en même temps qu'une promenade à travers cet art.

¹ Foul rain, Paul van der Eerden. Exposition du 19 juin au 7 octobre 2009 à la Chaufferie,
   galerie de l'École supérieure des décoratifs de la ville de Strasbourg.
² Exposition Enclosures, du 29 septembre 2007 au 13 janvier 2008, Museum Boijmans van Beuningen.

Marieke Wiegel in:
Hommage à l 'art du dessin: Une sélection de dessins de la Collection Frits Lugt
par Paul van der Eerden complétée d 'un choix de dessins contemporains
Exposition-dossier XI, Fondation Custodia Paris
Le Passage Paris-New York Editions, Paris, 2010       

© Marieke Wiegel 2010